J'avais déjà, comme beaucoup, entendu parler de cette étrange sensation que pouvaient éprouver les estropiés de tout poil. Amputés, pour X raison, ils continuaient de ressentir la démangeaison fantôme d'une piqûre d'insecte ou l'arthrose qui ankylosait leur membre disparu. Sans vraiment y croire. Jusqu'à cette seconde où elle s'est posée sur le dos de ma main. Aussi fugace que fut cet instant, il me reste l'intensité de ce rendez-vous improbable.
Aujourd'hui encore, le souffle léger de ses ailes rafraichit l'épiderme de mes phalanges fébriles, ventile le souvenir douloureux de son envol. Je sens encore ses mandibules frétiller sur les doigts que j'avais délicats rien que pour elle. Dans le babillage inaudible de la nature environnante, elle avait, le temps d'un instant, accepté de se laisser aller à communier avec un ours. Alors plus rien n'existait, qu'elle et moi, sur ce chemin désert, au milieu d'une verdure protectrice.
Parfois, encore, cet atterrissage m'effleure. Les veines de ma main se gonflent de sa présence virtuelle et mes poils se hérissent sur son passage, tandis qu'elle est déjà loin. Sur ce petit bout de peau, le chatouillis de cette furtive escale me rappelle combien la rencontre peut être belle.