L'été devait être en avance de quelques mois. Anéanti par la chaleur que quelques verres de vin frais étaient venus alourdir, il entreprit de traverser nus pieds le jardin pour s'allonger dans l'herbe grasse qui tapissait le sol sous le lilas.
Là, enivré par le parfum flatteur des grappes de fleurs, son âme et son corps plongèrent dans une langoureuse apoplexie qui trahissait des sensations restées jusqu'alors inabouties. Aux errances opiacées d'une ivresse sans fin venaient se mêler l'excitation inédite du côtacôtisme, la musicalité d'un concert de piafs virtuoses, la délivrance de l'orgasme suprême. Il avait dans la bouche la saveur granuleuse des mûres en même temps que le fruité d'un chenin puissant. Une dernière fois il rouvrit les yeux, s'aperçut que le monde réel avait perdu ses couleurs, et replongea dans le sommeil extatique des nuits fauves.
Depuis cette ultime marienne printanière, chaque année sa tombe était fleurie d'un brin de lilas mauve dont la fragrance embaumait quelques heures durant l'allée silencieuse du cimetière.