C'est dimanche. Ca fait moins de deux heures que j'ai commencé ma journée de travail. Une petite pause s'impose. Le rituel. C'est le moment de "vérifier", de consulter la sacro-sainte "combinaison gagnante".
Le souffle coupé. Muet. Atterré. Dans le silence de cette pièce froide, le ronron de l'ordinateur - et mon cœur qui bat la chamade depuis une bonne minute - me tire de cet effroi. Je revérifie. Là, en bas de cette page frêle de journal, sous la mention Loto, les mêmes numéros que sur le petit bout de papier que j'ai validé il y a deux jours. D'habitude, c'est l'histoire de trente secondes. Je vérifie, je referme mon journal et je glisse négligemment mon bulletin perdant dans mon tiroir, avec les autres. Au mieux, je me réjouis d'avoir gagner ma mise de départ avec trois bons numéros. Mais là...
Je m'étais souvent imaginé en gagnant fou, sautant de joie, chantant de bonheur, payant des tournées générales dans chacun des bars situés sur le chemin qui me menait à ma voiture... En vérité, j'en reste comme deux ronds de flan. Perplexe. Je me voyais tout plaquer sur le champ pour aller festoyer des nuits et des journées entières. Il va pourtant bien falloir que je finisse ma journée. Je crois que je ne réalise même pas ce qui m'arrive. Ce gain est si important que j'ai du mal à prendre conscience de ce que ça représente. Pourtant, une forme d'excitation qui m'était jusque-là inconnue monte en moi. Je m’embrase de l’intérieur. Les flammes dansent en moi. Je ne parviens plus à me concentrer sur mon boulot. Non seulement je vais finir ma journée alors que je suis multimillionnaire, mais je vais même la terminer plus tard que d'habitude.