J'ai toujours dans la poche arrière de mon pantalon tout un tas de petits papiers. Sur ces bouts de papiers, pliés en deux ou en quatre, figurent plein d'annotations, allant de la date d'un rendez-vous à une blague à deux francs en passant par une petite idée de génie, une liste de courses ou un plan concernant l'un ou l'autre de mes petits chantiers.
Au milieu de ces bouts de papiers fripés par le frottement du tissu, il est un ticket imprimé qui fait de moi deux fois par semaine un millionnaire potentiel. J'ai toute la semaine plusieurs millions d'euros qui me collent au cul et sur lesquels je m'assieds négligemment. J'ai rien prévu pour demain.
C'est immuable. Deux fois par semaine, je sors ce billet imprimé recto en noir et verso en rose léger, je le tends à ma buraliste qui le passe dans une drôle de machine avant de le jeter. Chaque fois, je lui en redemande un autre, qui trouvera une place bien chaude au fond de ma poche arrière, jusqu'au mercredi suivant, ou jusqu'au samedi suivant.
Je ne m'étais jamais demandé ce qu'il adviendrait le jour où ce rite prendrait fin. Si, comme je le fais depuis quelques années maintenant, je remplacerais ce petit ticket au fond de ma poche, comme si de rien n'était. Comme si la vie continuait comme avant. Si je prendrais conscience de ce que peut représenter le fait de ne plus avoir à faire ce petit geste qui, avec les autres, rythme le cours de ma petite vie.