lacrymal

Il n’était donc qu’un cœur de pierre ? Cela lui avait sauté aux yeux à l’aube de ses 43 ans. Il avait pris conscience, un matin en touillant son café, seul dans sa grande maison vide, qu’il n’avait plus pleuré depuis des années. Des décennies.

Il s’en souvient. Il avait huit ans. Sa souris blanche était morte de vieillesse. Il l’avait enterrée dans le jardin familial, avait planté une petite croix en bois dans un sanglot. Il avait eu tellement de peine qu’il s’était juré de ne plus jamais pleurer. Et il avait réussi.

En avalant une gorgée de café tiède, il avait eu un souvenir ému de ce gros chagrin d’enfant. S’était rappelé combien cela avait été salutaire de laisser couler ses larmes. Il en était désormais incapable. Handicapé lacrymal.

Depuis, pour retrouver cette sensation, ou du moins un semblant de sensation, il avait trouvé des subterfuges. Il s’asseyait devant le hublot de son lave-linge pour sentir son regard se brouiller. Il épluchait des oignons, mais tout juste ressentait-il un petit picotement. Les jours de pluie, il se posait devant la baie vitrée perlée de gouttes ruisselant de haut en bas. Il marchait dans le brouillard épais pour sentir ses yeux s’humidifier. Il regardait avec délectation la vie se jouer à travers le pare-brise de sa voiture quand il la passait dans les rouleaux des stations de lavage. Ces petites fulgurances le ramenaient 35 ans en arrière, le jour de ses dernières larmes. Et ça lui faisait du bien.

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